Bernard Ochietti: peintre de l’énergie, entre passions et galères
(English version at the end)
Bernard Ochietti est né en 1946 à Montfermeil, à l’époque un petit village à l’Est de Paris. Deuxième garçon d’une famille de quatre enfants. Son père, Français d’origine italienne (à l’origine de la prononciation Okéti du nom de famille) était peintre en bâtiment. Bernard Ochietti est un enfant exubérant, débordant d’énergie et passionné par les animaux de ferme. Il vit ensuite une grande partie de son adolescence dans deux centres pour jeunes gérés comme des centres de redressement. Une vie à la dure dans des bâtiments préfabriqués, sous les ordres << d’éducateurs>> pratiquant presque tous l’humiliation et la dévalorisation de jeunes dont le seul défaut était d’être orphelins ou <<placés>>. Cette période incompréhensible pour un garçon dénué de méchanceté a laissé des traces. Plus jamais Bernard Ochietti ne fera confiance à l’ordre établi, ses bénéficiaires et ses représentants.
À 17 ans, fort d’un CAP d’ajusteur en mécanique générale, il commence à travailler comme OS. Un voyage au Maroc lui fait découvrir un monde généreux et riche de couleurs. Il vit ensuite de boulots variés. À 18 ans, un voyage en Grèce lui fait découvrir le monde de l’art et la luminosité des paysages et des îles grecques. À 20 ans, ses premières peintures sont vendues sur les marchés du nord de Paris et de Dreux, au prix d’un SMIC de l’époque (1500 francs). Il s’agit de peintures »alimentaires », de nus, de paysages de bords de mer ou de montagne et d’abstractions simples toutes en courbes. Cette première série de peintures spontanées lui permet de mieux nourrir sa jeune famille. Il organise une première exposition à Brou, dans le Perche, en 1968.
De cette date à 1972, il développe un style personnel, en compagnonnage avec son grand ami Daniel B. Cette période de pauvreté est illuminée par une fraternité créatrice, fondée sur une affinité profonde et réciproque. <<C’était un véritable frère et nous avions commencé à développer des projets artistiques novateurs.>> Daniel se tue en voiture en 1972. Pour Bernard Ochietti, c’est l’écroulement d’un projet de vie. Sous le choc, il arrête de peindre et vit une période de vagabondage, en mode de survie. Sur les marchés de toutes les régions de France, il vend des vêtements pour adultes et enfants. Il s’attache aux paysages de l’île d’Oléron, de la vallée de la Loire et des côtes du Sud de la Bretagne. Il installe son pied à terre dans une bâtisse située dans le Perche. Avec ses deux garçons, il recueille des chevaux et des juments condamnés à l’abattoir à qui il redonne une santé. Il se révèle excellent cavalier, avec une connaissance innée des attentes des chevaux. En selle ou à cru, la musique des Pink Floyd en tête, il comble ainsi son rêve d’enfant et laisse son imagination concevoir une peinture universelle.
C’est le début de sa grande période classique, avec une maîtrise enviée de la peinture acrylique. En 1978, il est accueilli chaleureusement par plusieurs amis Québécois, il découvre à la fois un mode de vie respectueux de l’autre et un nouvel espace naturel. Une de ses oeuvres phare est directement inspirée par les Chutes Montmorency qui rejoignent le Saint-Laurent en aval de la ville de Québec.
Les chutes de Montmorency, acrylique de Bernard Ochietti, 1979
Il pratique le karaté et participe à des compétitions nationales.
Il voyage au Nord de l’Italie et en Espagne. Cette période faste s’achève en 1981 par la rupture avec sa deuxième compagne qui le ruine et lui laisse une dette cachée. Il n’est pas à la rue mais c’est de nouveau la galère, sans travail. Un couple ami (Daniel et Noëlle) et leurs parents le nourrissent. Ceinture noire de karaté, il ouvre deux clubs dans le Perche pour gagner un peu d’argent. En 1982, Bénédicte sa nouvelle compagne lui redonne le goût de peindre. Il tente d’abord de développer un nouveau style de peinture, mais les oeuvres produites ne lui plaisent pas, il revient à son style classique après 1984. De 1985 à 1987, il fait des recherches et n’hésite pas à effacer ses toiles pour trouver une démarche originale. Il expose et vend dans les cafés et restaurants de la région. En même temps, il découvre la planche à voile qu’il pratique passionnément parfois dans des conditions extrêmes, et se crée un réseau d’amis chaleureux et fidèles.
En peinture, 1990, date de la naissance de sa fille Manon, marque l’atteinte de son nouveau style personnel. Côté revenus, il travaille comme préposé aux péages de Cofiroute pendant plus de 13 ans, selon des horaires limités au début puis très irréguliers. Il achète une petite maison d’ouvrier agricole à Théhillac, près de Redon, en 1996. Sa vie est enfin ancrée dans un lieu magique, près de la Vilaine et à une distance modérée de la mer. Il réalise un autre de ses rêves et élève un troupeau de chèvres sur son vaste terrain. Avec Bénédicte, ils créent une petite fromagerie, ce qui leur permet de vivre décemment.
Il profite également de la proximité de la mer pour continuer de vivre des moments intenses avec sa planche à voile. Il participe même à des compétitions avec l’un de ses fils. Cette période favorise une production artistique modeste , modérée par le temps consacré à sa fille et aux aléas de l’élevage de chèvres. Mais Bernard Ochietti voit peu à peu sa santé décliner. Au lieu de se laisser abattre, une frénésie créatrice lui permet de compenser ses douleurs physiques et la perte progressive de la vue. À partir de 2011, l’artiste en lui vit une véritable résurrection. Il redéfinit son style abstrait avec plus de couleurs vives et produit chaque année au moins une centaine d’oeuvres dont certaines sont exposées et vendues dans la région. Depuis fin 2014, en raison de l’aggravation de ses problèmes de vision, il multiplie les dessins et les peintures. Son style évolue encore , avec des toiles abstraites aux formes d’explosion rayonnante (voir son site http://fr.artquid.com/search/?q=ochietti).
Bernard Ochietti est un grand peintre, autodidacte. Depuis 50 ans, il a produit près d’un millier de peintures acryliques et de dessins. En constante évolution, son oeuvre peut être subdivisé en plusieurs périodes de style bien défini. De la période alimentaire, il ne reste rien. À la période aux peintures fluides, la période classique, des années 1970-1990, succède une période avec des composition denses et moins abondantes de 1990 à 2010. La période de renaissance, de 2011 à 2014 est caractérisée par des compositions gestuelles inspirées, souvent à dominante rouge. La période suivante fin 2014-2015 correspond aux formes en étoile, symbolisant la colère d’un artiste perdant la vue. En raison de sa vision déclinante et d’autres problèmes de santé, il se consacre de plus en plus au dessin.
Les oeuvres de Bernard Ochietti sont dispersées en France, au Québec, en Belgique, en Allemagne, Espagne, Nouvelle-Zélande et Italie. 18 oeuvres ont été volées par cambriolage d’une exposition à Chartres en 1996. Une vingtaine de toiles très abîmées ont été retrouvées sous un abri en tôle; les plus remarquables sont en cours de restauration.
A part la période alimentaire initiale, Bernard Ochietti peint par inspiration. On peut qualifier son approche d’expressionisme abstrait. Il a maîtrisé rapidement la technique de l’acrylique, à un tel point qu’il a été sollicité plusieurs fois par des peintres « professionnels » pour livrer ses techniques. Il a même été copié et volé. Le gestuel répond à une vision intérieure et reste maîtrisé par l’intention créatrice. Sauf exceptions, le geste ne déborde que dans les production de colère de 2015 et les grands formats de 2013-2014. En général, ses compositions représentent une transposition de paysages contemplés, parfois imaginés, et de scènes vécues . Dans le contexte de l’art contemporain, Bernard Ochietti évite l’écueil de l’intellectualisme, de l’académisme, du gestuel <<spontané>>, de la laideur complaisante et de l’égocentrisme <<artistique>>. Malgré une vie de galères et une révolte légitime, sa peinture est issue d’une énergie débordante. Elle exprime la volonté de vivre passionnément et sainement. Elle chercher à exprimer la beauté de la vie. Ses oeuvres ont été achetées ou troquées à la suite de coups de coeur, pour la vitalité profonde qui émane de sa peinture.
ARTISTS’ BIOGRAPHIES
Bernard Ochietti: painter of power, passion and pain
Bernard Ochietti was born in 1946 in Montfermeil, at the time a small village east of Paris. His father, a Frenchman of Italian ancestry, worked as a house painter. The second son in a family of four children, Bernard Ochietti was an exuberant child, full of energy and fascinated by farm animals. But his adolescence, spent in two youth centres that were in fact run as rehabilitation facilities, brought about a change of fate. For several years, his life was confined to prefabricated buildings and his every act submitted to the orders of “educators.” Ruthless and unforgiving, these men made a habit of humiliating and diminishing boys whose only fault was to have been born orphans or to have been assigned to the facility. For the young Bernard, who had never had a bad bone in his body, this period was incomprehensible. It left its mark. Never again was he to trust the established order, its beneficiaries nor its representatives.
With a vocational diploma (“CAP”) in general mechanics under his belt, he was hired as a skilled worker at the age of 17. Travelling to Morocco in the same year, he discovered a world of rich colours and abundance. He subsequently lived of odd jobs. At 18, he travelled to Greece, where his eyes were opened to the world of art and the light of the Mediterranean landscape. He sold his first paintings at the age of 20 on the markets of northern Paris and Dreux. The works were essentially “breadwinning” pieces: nudes, seaside and mountain landscapes, and simple abstract compositions of rounded lines and forms. Fetching 1500 francs apiece, a sum roughly equivalent to the minimum wage of the time, these works did indeed allow him feed his young family. Ochietti held his first exhibition in the town of Brou, in the Perche region, in 1968.
Between 1968 and 1972, he developed his personal style in the company of his great friend Daniel B. Founded on a deep mutual affinity, this creative fraternity brightened a period otherwise marked by poverty. In Ochietti’s words: “[Daniel] was a true brother. We had begun to develop innovative artistic projects.” Daniel B. died in a car accident in 1972. For Ochietti, Daniel’s death meant the collapse of a life project. Traumatized and in shock, he stopped painting and entered a period of vagrancy. Living in survival mode, he travelled across the country, selling clothing for children and adults on marketplaces.
While he found a sense of home in the landscapes of the Loire Valley, the île d’Oléron and the southern coasts of Brittany, he ultimately decided to settle in a house in the Perche region, where he and his two sons took to rescuing horses and mares that were bound to the slaughterhouse. Ochietti revealed himself to be an excellent rider, gifted with an innate understanding of horses’ needs. With his childhood dream coming true and Pink Floyd’s music echoing in his ears, he began to let his imagination envision a universal form of painting.
This was the beginning of his great classical period. Over the next few years, he would truly come into his own as a master of acrylic painting. In 1978, he travelled to Quebec, where he was warmly welcomed in the homes of several friends. He found in the province both a highly respectful way of life and a new natural environment. One of his signature works from this period was directly inspired by the Falls at Montmorency, which tumble into the Saint-Laurent River upstream from Quebec City.
Les chutes de Montmorency, acrylic, Bernard Ochietti, 1979
The 1970s also brought Ochietti to take up karate. As part of his training, he participated in several national championships.
His next set of travels took him to Northern Italy and Spain. But this time of prosperity came to an end in 1981, as the split from his second partner left him bankrupt and with hidden debt. While he had enough to stay off the streets, he was back in a tight spot. Jobless, he depended on his friends Daniel and Noëlle and their parents for food for several months. Karate eventually provided him the way out: having reached a black belt by this point, he was able to bring in a bit of money by opening two clubs in the Perche.
In 1982, a new relationship with a woman named Bénédicte gave him the inspiration to return to painting. His first instinct was to develop a new style. However, finding the finished works unsatisfying, he returned to his classical style after 1984. The years 1985 to 1987 were ones of intense research and experimentation, during which he did not hesitate to erase his paintings in his search for an original approach. He exhibited the finished works in the region’s cafés and restaurants, making a number of sales.
It was also in the mid-late 1980s that he discovered windsurfing, a sport he quickly began to practice fervently, sometimes in extreme conditions, and through which he made a group of warm and loyal friends.
The year 1990 marked the birth of his daughter Manon and the culmination of his search for a personal painterly style. Ochietti had at this point been working as a tollbooth attendant for the highway network Cofiroute for over 13 years, first with limited hours and then with highly irregular ones. In 1996, he bought a small country house in Théhillac, near Redon. At last, his life was anchored in a magical place, close to the river Vilaine and not too far from the ocean. With a vast plot of land on his property, he was able to rear a herd of goats, thereby bringing another old dream to life. Before long he and Bénédicte were opening a small cheese dairy and selling their products on the region’s markets. The sales allowed them to live reasonably well. Meanwhile, Bernard Ochietti was also taking advantage of the ocean’s proximity to live out intense experiences on his windsurfing board and to enter competitions with one of his sons. With much of his time devoted to his daughter and to his goats, he painted only sparsely. His output from this period is accordingly modest.
He was also beginning to feel his health decline. Refusing to let himself be beat down, however, he entered a frenzy of creative activity as a way of transcending his physical pain and his deteriorating eyesight. From 2011 to 2014, the artist in him experienced a veritable resurrection. Redefining his abstract style with brighter colours, he produced at least one hundred works every year, exhibiting and selling them in the region. Since 2014, his production of drawings and paintings has accelerated even as he has felt his eyesight decline all the more vertiginously. His abstract style has continued to evolve toward compositions dominated by radiant explosions of form (see his website: http://fr.artquid.com/search/?q=ochietti).